Palais du gouvernement à Tiraspol. En premier plan une statue de Lénine. -- Crédit DR
Il serait dommage de ne pas aborder la question de l’affiliation identitaire de la Transnistrie (Pridnestrovie pour les russophones) sans se pencher sur son histoire et sur ce qui constitue sa singularité dans le paysage des Etats post-soviétiques.
Premièrement, et pour bien comprendre la situation, oubliez ce que vous savez de ce qu’est un « Etat » au sens traditionnel et juridique, laissez-vous aller vers cette idée plus générale que, ce qui constitue un pays, c’est avant tout une population et un gouvernement capable de tenir tête à ceux qui ne souhaitent pas son existence. C’est ainsi qu’il faut comprendre la Transnistrie, ce « pays » situé entre la Moldavie et l’Ukraine, qui n’est reconnu par absolument aucun Etat (sauf ceux qui eux-mêmes ne sont pas reconnus) et qui pourtant existe depuis la fin de l’URSS. N’en déplaise aux juristes, ce qui semble constituer un Etat, c’est avant tout le souhait des citoyens à résider dans un lieu et à s’accorder avec la position d’un gouvernement. Laissons pour le moment de côté les raisons de ce soutien qui laissent nombre d’analystes, occidentaux ou non, perplexes.
Rapide présentation d’un Etat officiellement inexistant depuis plus de 20 ans
La Transnistrie pourrait donc se présenter de la manière brève et simple suivante : c’est un Etat que personne ne reconnaît à l’international depuis 20 ans, qui cependant existe quand même, avec son gouvernement, son drapeau, son hymne, sa propre monnaie, sans accès à la mer Noire et dont l’existence est financièrement soutenue par le Kremlin, au grand damne de la Moldavie qui souhaiterait voir la Transnistrie réintégrer son territoire comme avant 1991. Une différence notable subsiste cependant. La Moldavie est un pays majoritairement roumanophone, bien que ces habitants parlent également russe, alors que la Transnistrie est un pays trilingue avec le roumain (40%), l’ukrainien (30%) et le russe (30%) qui se côtoient dans la vie de tous les jours. Il va sans dire que le russe est la langue de communication en raison de l’importance de celle-ci sur le plan historique et du fait que les moldaves et les ukrainiens la parlent, ce qui simplifie beaucoup de choses dans une situation déjà bien complexe.
Les roumanophones sont souvent en campagne et les russophones en ville, un aspect qui mérite d’être mentionné car il explique pourquoi un grand nombre de membres du gouvernement sont d’origine russe et ont une tendance à s’aligner sur la position de la Fédération de Russie. Si l’on fait abstraction de ce détail, non des moindres, il semble pertinent d’ajouter que l’existence de la Transnistrie est remise quotidiennement en question par tous les spécialistes de la question.
Ce scepticisme des analystes sur l’idée d’une Transnistrie comme pays indépendant est lié à plusieurs facteurs. Le premier est simple à comprendre, si l’on parle de « singularité » culturelle d’un espace, alors on justifie ses projets d’indépendance. Il faut donc bien comprendre que parler de la Transnistrie comme d’un espace culturel ou différent de la Moldavie, de l’Ukraine ou même de la Russie pose nombre de problèmes pour tout le monde, sauf peut-être pour les citoyens transnistriens. C’est la raison pour laquelle on trouvera rarement des experts occidentaux ou russes qui parleront de cette singularité prononcée, qui soit dit en passant est difficile à trouver. Le deuxième point, c’est que la position des dirigeants transnistriens eux-mêmes sur cette question est ambiguë. Si vous avez l’occasion de demander aux habitants lors d’un voyage ou arrivez à obtenir un rendez-vous au « Ministère des Affaires Etrangères », vous pourrez constater le problème. En effet, les officiels vous diront que la Transnistrie est distincte de la Moldavie et de l’Ukraine, qu’elle est avant tout un pays trilingue avec des idéaux de vie en communauté de toutes les minorités, un « Melting pot » qui succède à l’idéal soviétique de vie en commun de différentes ethnies dans un même pays.
Cependant, et on peut faire la remarque aux dirigeants en pointant du doigt la présence de la photo du président Poutine dans les bureaux ou encore du drapeau russe dans les rues, qu’il semble paradoxal de se dire culturellement indépendant et à la fois de vouloir être rattaché à la Fédération de Russie. Car là est tout le problème, bien que non reconnue par celle-ci, la Transnistrie souhaite depuis sa création intégrer la Fédération de Russie. Un paradoxe difficile à expliquer pour les dirigeants qui, d’une part, parlent de singularité et, de l’autre, de similitude par rapport à la Russie. En bref, la Transnistrie est un Etat résolument divisé et qui semble encore chercher sa place en Europe.
Le marteau et la faucille omniprésents à Tiraspol. -- Crédit Daniel Mihailescu / AFP
L’histoire aurait pu s’arrêter là : un pays pluriethnique et ayant fait le choix de rejoindre la Russie, celle-ci ne semblant pas si pressée que cela de procéder au rattachement et ce, malgré la Crise en Ukraine et l’annexion-rattachement récent de la Crimée. Mais la question que pourrait se poser un œil avisé, en voyant tous les drapeaux russes, l’engouement du gouvernement pour Poutine, etc., serait la suivante « la Transnistrie est-elle réellement si pressée de rejoindre la Russie ou alors s’arrange t’elle pour le faire croire afin d’en tirer un avantage ? ». Car, concrètement, sans le soutien de la Russie sur le plan militaire mais aussi financier et gazier, la Transnistrie disparaîtrait probablement en moins d’une année. Le pays souffre d’un problème de compétitivité majeur, d’une perte démographique inquiétante, ses habitants partent souvent à Moscou pour y trouver un travail et, enfin, le tourisme, pourtant dépaysant, n’est pas à son optimum. Pour résumer, cette république ne pourrait pas subvenir à ses besoins et, sans le soutien du Kremlin, finirait probablement encore plus pauvre que la Moldavie qui est elle-même l’Etat le plus pauvre du continent européen.
On comprend alors mieux pourquoi les habitants des villes et le gouvernement se montrent pro-russes. La crainte de voir disparaître cette situation, il faut l’avouer économiquement un peu plus prospère qu’en Moldavie, reste dans tous les esprits. Contrairement à ce que nombre d’analystes peuvent penser, la réalité sur le terrain est celle d’habitants dont la question principale est celle de savoir ce qu’ils vont manger et boire le soir bien avant celle de la légitimité du gouvernement. En ce sens, l’URSS semble avoir laissé des traces avec cette division entre vie politique et opinion des citoyens. Pour résumer cette rapide présentation sur cet Etat qui est bien loin des stéréotypes qu’on pourrait en avoir, la Transnistrie est officiellement pro-russe. Les habitants ne semblent pas s’accorder avec le gouvernement, comme peuvent en témoigner les dernières élections présidentielles de 2011.
Les dernières élections présidentielles
Quoi de plus objectif qu’une élection pour mesurer l’approbation du peuple ? Certes, il est vrai que dans certains pays, le peuple semble s’exprimer de manière intéressante, d’autant plus dans les régimes autocratiques. Cependant, la Transnistrie s’avère être singulière et loin des stéréotypes qu’on a tendance à lui apposer. Bien qu’autocratique et contrôlé par une minorité qui détient l’ensemble de l’économie du pays (le groupe Sheriff), le gouvernement semble plus « démocratique » qu’il n’y paraît. On observe ainsi des élections présidentielles tous les 5 ans. Jusqu’en 2011, c’était l’ancien président Igor Smirnoff qui contrôlait la région, ce dernier, pro-russe dans ses déclarations au demeurant, semblait bien parti pour occuper le pouvoir jusqu’à sa mort. C’était sans compter sur la lutte des élites dans le pays qui souhaitaient un changement pour des raisons économiques.
Chevtchouk et Smirnoff -- Crédit DR
Quoi qu’il en soit, les élections de 2011 opposèrent le président Smirnoff avec plusieurs rivaux, dont l’actuel président, Chevtchouk. Comme il est de coutume, le Kremlin avait désigné son favori et lui avait apporté son soutien. Ce dernier, qui n’était justement pas Chevtchouk (donc le président élu) s’est fait battre à plate couture face à Chevtchouk et son programme plus « européen » et dont les axes prioritaires sont la mise en place de plus de démocratie et plus de transparence en s’inspirant des Etats membres de l’Union européenne, paradoxal me direz-vous ? Pas tant que cela, en réalité ces élections et leurs résultats ne font que mettre à mal un vieux stéréotype qui présente le gouvernement comme pro-russe. C’est bien cela dont il est question : normalement le candidat élu aurait dû être celui soutenu par Moscou et certainement pas Chevtchouk. Pourtant, le peuple s’est prononcé. Se présentent alors deux options : la première, les résultats sont sans fraude, auquel cas cela témoigne d’un souhait des habitants de Transnistrie d’avoir leur mot à dire sur la situation politique et, bien qu’appréciant la Russie, souhaitent avant tout vivre dans un pays avec sa propre politique. Deuxièmement, les élections sont truquées et alors, c’est un signe que c’est l’élite politique et économique de la Transnistrie ne partage pas les mêmes intérêts que Moscou.
Dans les deux cas, les élections de 2011 témoignent bien d’une divergence entre les intérêts des élites qui se disent pro-russes, ce qui semble être un bon moyen d’obtenir des subventions, et la réalité sur le terrain avec un président élu qui remet en question cette idée de rapprochement, du moins dans l’immédiat.
Quoi qu’il en soit, avec le recul, il est facile de dire que l’actuel Président est aujourd’hui obligé de suivre le voie imposée par Moscou, finance oblige et il n’était pas envisageable de trouver des subventions alternatives dans une période si courte. La Transnistrie reste donc inchangée à ce jour, mais la symbolique de ces élections semble avoir marqué les esprits en Russie comme en Europe.
Une région soutenue financièrement par Moscou mais géographiquement et économiquement tournée vers l’Europe
Finalement, il semblerait que ce soit le portefeuille qui motive les élites, mais aussi la population dans la région séparatiste. Pour ce qui est de la population, rien de surprenant dans la mesure où les habitants sont pragmatiques, l’important est d’arriver à survivre dans les meilleures conditions possibles pour les plus pauvres et d’essayer de se hisser au niveau des pays de l’Union européenne pour les plus riches. En ce qui concerne les élites, il y a d’une part ceux qui entrent en politique pour gagner leur vie et qui souhaitent donc éviter de voir des nouveaux venus de Russie prendre leur place. Puis, il y a ceux qui gagnent beaucoup à rester un Etat de facto. L’exemple du groupe Sheriff est frappant, que vous alliez au supermarché, acheter du cognac (le cognac Kvint de Transnistrie est très réputé), faire le plein d’essence ou encore aller regarder un match de football, vous devrez passer par le groupe Sheriff qui est en situation de monopole dans le pays. Imaginez donc la catastrophe pour ces élites si d’autres entreprises russes plus compétitives devaient s’installer dans le pays. C’est la raison pour laquelle il est bon de clamer son identité russe mais d’éviter d’aller trop vite vers un rattachement.
Enfin, la Transnistrie est un Etat de facto industriel, du moins il l’était après la chute de l’URSS. De nos jours, la situation est similaire avec la Moldavie. Ce qui a amené la région à tourner son commerce vers les pays où elle pouvait exporter ses produits. Bien qu’ayant du succès en Russie, les produits transnistriens se vendent plus en Union européenne qu’au sein de la Fédération. En conséquence, si la Transnistrie devait intégrer la Russie, les problèmes pour exporter vers l’Union seraient lourds de conséquences. Actuellement, plus de 50% de la production est exportée vers l’Union, qui plus est, en cas de rattachement avec la Russie cela signifierait que la Moldavie entrerait sûrement dans l’Union européenne, une partie des produits transnistriens y trouvant des débouchés. En bref, on imagine mal en cas de rattachement ce qu’il adviendrait de l’économie coupée de ses marchés et avec une baisse des financements russes sur le long terme.
C’est sans doute la raison pour laquelle le gouvernement et les habitants de Transnistrie regardent à l’Est et encore plus depuis l’annexion-rattachement de la Crimée, entre espoir pour les plus patriotes et crainte de l’effet domino pour les plus pragmatiques.